La semaine dernière, j’ai eu la chance d’être invité à Kédougou à la Climate School 2024. Cet événement, le quatrième de son genre, est une initiative de la Fondation Rosa Luxemburg (RLS) et de la Plateforme nationale des acteurs pour une justice climatique (PNA-JC). Il est décrit par ses organisateurs comme « un espace d’échange d’expériences et de stratégies pour lutter contre les effets du réchauffement climatique et porter le plaidoyer de la lutte pour une justice climatique. »

Je remercie chaleureusement le Bureau régional de la Fondation Rosa Luxemburg, ainsi que son directeur, le Dr Claus-Dieter König, pour cette invitation organisée dans l’urgence. Ce moment privilégié m’a permis de partager, d’apprendre et de réfléchir aux côtés de personnalités comme Fadel Wade, responsable de la PNA-JC, Mouhamadou Bakhoum, Mamadou Dramé, le chef du village Ithiar Bendia, Bernard Keïta, ainsi qu’une cinquantaine d’autres participants. Ils sont venus de toutes les régions du Sénégal, mais aussi de Gambie, de Guinée, du Mali, d’Afrique du Sud et d’Allemagne, pour discuter de la gravité des crises climatiques actuelles et de leur impact dévastateur, notamment en Afrique et dans la région de Kédougou.

La Climate School a offert un cadre pour aborder des questions cruciales, telles que l’impact disproportionné des changements climatiques sur les régions les plus vulnérables et la nécessité de promouvoir une justice climatique qui transcende les intérêts économiques. Dans ce contexte, nous avons exploré les défis spécifiques auxquels font face l’Afrique, le Sénégal et la région de Kédougou : accès équitable aux ressources naturelles, transition énergétique, et lutte contre les industries polluantes, souvent imposées sans considération pour les populations locales. Cet échange intense a posé les bases d’une réflexion collective et d’actions concrètes pour protéger les communautés et les écosystèmes menacés.

Je tiens à donner une mention spéciale au Dr Ibrahima Thiam, chargé de programmes à la RLS, qui a été le maître d’œuvre de cette semaine riche et exaltante.

Le dérèglement climatique : une réalité incontestable

Le dérèglement climatique est aujourd’hui un fait incontestable, une urgence qui pèse sur l’humanité tout entière, mais qui frappe encore plus durement les régions les plus vulnérables, en particulier en Afrique. Ce phénomène est largement attribué aux activités humaines, notamment à travers la consommation effrénée d’énergies fossiles, qui accélèrent le réchauffement de la planète et intensifient les catastrophes naturelles. En Espagne, il y a quelques jours, des inondations d’une ampleur sans précédent ont coûté la vie à 213 personnes. Selon le ministre espagnol de la politique territoriale, Angel Victor Torres, cité par le quotidien français Le Monde il y aurait « des dizaines et des dizaines de disparus ». Dans la région du Sahel, plusieurs pays subissent également des intempéries meurtrières, dont les récentes inondations au Niger et au Tchad, qui ont fait respectivement 217 et 503 morts et déplacé des centaines de milliers de personnes. Au Nigeria, les inondations ont touché 27 États cette année. Dans l’État de Borno, elles ont entraîné au moins 30 personnes et en ont déplacé 400 000 autres.

Ces drames révèlent une injustice climatique profonde : les pays qui émettent le moins de gaz à effet de serre sont souvent les plus affectés. Face à cette réalité, il est nécessaire de repenser notre modèle énergétique et de promouvoir des solutions durables qui ne sacrifient pas les besoins des plus démunis. La justice climatique exige une redéfinition des rapports de force pour assurer à tous, notamment aux nations pauvres, un accès équitable aux ressources et aux technologies.

Le tableau ci-dessous des émissions cumulées de CO2 par grande région du monde, de 1750 à 2021, révèle l’ampleur de l’injustice climatique actuelle. Issu des travaux du Global Carbon Project, il met en évidence une vérité saisissante : les régions historiquement responsables de la majorité des émissions fossiles, comme l’Europe et l’Amérique du Nord, sont également celles qui ont développé des infrastructures pour atténuer certains effets du changement climatique. En revanche, les régions les moins responsables, notamment en Afrique, subissent de plein fouet les conséquences de ces émissions.

Ce tableau est un rappel incontournable de la nécessité de prendre en compte les responsabilités historiques et la contribution inégale des continents à la crise climatique. Il remet en question la répartition actuelle des efforts et appelle à une véritable justice climatique, où les régions les plus vulnérables, bien que peu émettrices, pourraient bénéficier d’un soutien renforcé pour faire face aux défis climatiques.

Tableau : Émissions cumulées de CO2 depuis 1750 par grande région du monde. Note : émissions issues de la combustion du carbone fossile (hors UTCATF et transport international) de 1750 à 2021

Source : The Global Carbon Project’s fossil CO2 emissions dataset, Andrew, Robbie M. & Peters, Glen P., 2022

Kédougou : une région sous pression climatique et minière

La région de Kédougou, située dans l’extrême sud-est du Sénégal, représente un exemple frappant des défis liés au climat et aux ressources naturelles. Bordée par le fleuve Gambie et les collines du pays Bassari, cette région est riche en biodiversité et abrite le parc national du Niokolo-Koba. Pourtant, Kédougou subit une pression extrême en raison de l’exploitation minière, particulièrement celle de l’orpaillage industriel et artisanal, qui affecte non seulement la qualité de l’eau, mais aussi l’environnement dans son ensemble. Le fleuve Falémé, l’un des affluents majeurs du fleuve Sénégal, est menacé de mort. Ce cours d’eau, essentielle pour des milliers de personnes, a pris une couleur rougeâtre inquiétante, signe visible de la pollution engendrée par les activités d’orpaillage.

Cet orpaillage, bien qu’il soit une source de revenus vitale pour les populations locales, se fait au prix d’une dégradation écologique qui hypothèque l’avenir de toute une région. Les terres, autrefois réservées aux cultures vivrières, sont désormais transformées en zones d’exploitation minière. Cette situation expose les habitants à une insécurité alimentaire accrue, une problématique exacerbée par les changements climatiques qui réduisent déjà la fertilité des sols. De même, l’exploitation minière est loin de profiter aux communautés. De nombreux villages manquent des équipements sociaux de base. Les inégalités sociales continuent de se creuser, et les changements démographiques, en l’absence de nouveaux mécanismes de gestion des conflits et d’une présence étatique renforcée et équitable, risquent de devenir un terreau fertile pour toutes les entreprises déstabilisatrices.

La justice climatique : une question d’équité

L’une des discussions informelles les plus animées lors de cette Climate School a porté sur la nature du « capitalisme vert ». Ce modèle, souvent présenté comme une réponse au dérèglement climatique, semble plus préoccupé de renforcer l’ordre économique mondial actuel qu’à véritablement offrir des solutions viables. L’idée d’une « transition verte » s’avère parfois un simple prétexte pour maintenir les pays pauvres dans une position de dépendance, sous couvert de technologies vertes et de crédits carbone. Il est urgent de repenser les mécanismes de coopération pour que les technologies, nécessaires à l’adaptation et à l’atténuation des effets climatiques, deviennent des biens publics mondiaux, sans droits de propriété intellectuelle. La redistribution équitable de ces savoir-faire permettrait aux pays africains de s’autonomiser et de trouver leurs propres voies de développement durable, indépendamment des impératifs de rentabilité imposés par les puissances économiques.

La lutte contre le dérèglement climatique ne peut se faire sans une révision en profondeur des principes de justice qui la guident. L’Afrique, qui contribue peu aux émissions mondiales de carbone, doit supporter un fardeau disproportionné. Il faut une réponse tenant compte des besoins et des droits des populations locales. Sortir des logiques marchandes qui privilégient les profits privés au détriment du bien commun, voilà l’une des conditions pour avancer vers la vraie justice climatique. Pour Kédougou et tant d’autres régions du continent et du monde, il est impératif de garantir un accès à des technologies durables sans entraves économiques, mais surtout de placer la préservation des ressources naturelles au cœur des préoccupations. La Climate School m’a permis de renforcer cette conviction : le dérèglement climatique ne doit pas être une nouvelle occasion pour le capitalisme, mais un point de départ pour repenser un monde plus juste et solidaire.