Les changements climatiques sont loin d’être une affaire singulière des zones rurales en Afrique ; ils sont aussi, hormis le phénomène naturel qu’on leur attribue, une conséquence des émissions de gaz à effet de serre des industries du monde entier. En Afrique ils sont une résultante des politiques et programmes économiques qui sont appliqués dans les villes.
Les villes contribuent largement au changement climatique à travers les activités industrielles, la consommation des ménages, l’éclairage public, etc. 80 % du CO2 dans le monde provient des villes. Selon un rapport de la banque mondiale ,près de70 % de la population mondiale vivra en zone urbaine d’ici 2050, et cette dernière consomme 78 % de l’énergétique mondiale et produit plus de 60 % des émissions de gaz à effet de serre. Les villes doivent apporter ainsi des réponses au-delà de l’adaptation et de la mitigation ; une politique publique de modération des impacts du changement climatique doit être mise en place.
Dakar, la capitale sénégalaise, qui concentre la quasi-totalité des activités économiques du pays ainsi que la plus forte densité par habitant est sous menace climatique. Néanmoins, elle est responsable d’une grande partie de la pollution du pays.
Comment se manifeste ce phénomène dans cette capitale africaine? Quelles sont les responsabilités des autorités gouvernementales vis-à-vis de la vulnérabilité de cette ville?
Quel rôle joue la société civile dans la dynamique de lutte contre le changement climatique ?
Le Sénégal : un pays suspendu entre la côte et t le Sahel
Le Sénégal est un pays vulnérable face aux effets du changement climatique. Sa position géographique fait de lui une proie entre l’avancée de la mer et celle du désert. Suspendu entre un littoral long de 700 km à l’Ouest et le sahel à l’Est, le pays connait une érosion de sa côte qui se manifeste par un recul du trait de côte estimé en moyenne entre 0,5 et2m par an et une dégradation des superficies de ses terres de 2 500 000 ha[i].Le changement climatique au Sénégal se manifeste aussi par une remontée des eaux marines sur les fleuves Casamance, Sine et Saloum, par l’assèchement du Ferlo et des vallées associées, par la baisse générale du niveau des nappes, par l’assèchement des rivières continentales ainsi que la salinisation des eaux douces et des terres de culture. Le pays a connu des modifications de sa biodiversité et de ses écosystèmes entrainant des perturbations dans les forêts de mangroves, dans la zone des Niayes et de certaines zones humides côtières. Le couvert végétal est réduit, les sols sont dégradés et dénudés et les terres salinisées. Enfin les océans et les mers connaissent un réchauffement de la température et une érosion ardue.
Alors que 18 millions de Sénégalais dépendent en grande partie de la pêche et de l’agriculture pour leur subsistance, ces secteurs demeurent encore la première cible du climat.
Dakar : une presqu’île en sursis
La région de Dakar constitue 0,28 % du territoire national pour une population de 3 835 019 habitants. Dakar ville fait 1 400 974habitants en 2020 soit 8,4% de la population nationale avec une densité de 17 961 habitants/km2. L’impact du changement climatique dans la capitale sénégalaise reste très préoccupant. Le littorale de Dakar est long de 133,69 Km dont 36% de cette côte sont classés comme à risque élevé de submersion marine et d’érosion côtière ; ce sont les zones de Malika, Tivaoune Peulh, Niaga, Hann, Thiaroye, Mbao, Rufisque, Minam et Sendou. 29% de la côte est classé à risque modéré, ce sont Déni Guédji, Guédiawaye, Parcelles Assainies, Cambérène, Golf, Bargny et Yéne. 35% du littoral Yoff qui regroupent Almadies, Ouakam, Fann, Médina, Dakar Plateau, et Toubab Dialaw présentent un risque bas. L’une des premières victimes de ce phénomène est la communauté lébou (pêcheur)qui vit sur la côte. Cette dernière vit doublement les impacts du climat car leurs habitations sont détruites par l’érosion côtière et leur principale activité qui est la pêche reste aussi impactée.
Cette situation est liée certes au phénomène naturel des changements climatiques mais surtout, à la négligence des autorités communales et étatiques sur la gestion de son littoral, des vagues d’exode rural suite à la sécheresse des années 1980 et au manque de programme d’habitat.
Cette exode non contrôlé a eu des conséquences très néfastes sur l’urbanisation anarchique de la ville de Dakar. Avec un rythme effréné de croissance et un manque de politique de suivi en logements, en équipements et en services publics, 30% de la superficie de Dakar s’est retrouvée occupé par des habitations illégales. En2002 plus de la moitié de la population de Dakar était originaire d’autres régions du Sénégal.
Depuis bientôt deux décennies, la région de Dakar connait des inondations massives et récurrentes. La saison des pluies représente pour beaucoup d’habitants de la capitale et sa banlieue un cauchemar. La pollution de l’air à Dakar fait d’elle l’une des villes les plus affectées du continent au moment où elle constitue l’un des premiers risques environnementaux pour la santé humaine. Selon l’OMS, 2,2 millions de décès par an sont enregistrés dans le monde pour causes de pollution de l’air intérieur et extérieur.
Les principales causes de cette pollution sont les transports, les industries, la production énergétique, l’incinération des déchets solides dans les dépôts à ciel ouvert et les apports de poussière d'origine saharienne. La seule et unique décharge de Mbeubeuss situé à 15km de la capitale enregistre500 000 tonnes d’ordures chaque année. Malgré des slogans de la société civile« Pour un nouveau type de Sénégalais » et « un Sénégal plus propre dans ses quartiers, plus propre dans ses villages, plus propre dans ses villes », Dakar est loin d’avoir surmonté l’insalubrité dont il faut chercher les causes à un manque de civisme et de politique adéquate.
La dégradation de l’environnement de Dakar est aussi liée à l’intensification de l’occupation du sol, l’anthropisation des milieux naturels et du changement climatique. A Dakar, l’air, les eaux souterraines ainsi les eaux marines sont polluées. Le suivi du Ministère de l’environnement et du Développement Durable (MEDD) donne un niveau quotidiennement moyen et la concentration de PM2,5 à Dakar reste 3.5 fois supérieure à la valeur guide annuelle de l'OMS pour la qualité de l'air[i]
Le transport routier dans les villes contribue massivement à la pollution atmosphérique du continent africain. Selon l’OMS, un quart des décès prématurés en Afrique est imputable à la mauvaise qualité de l’air et provient de la pollution urbaine. A Dakar, il est caractérisé par la vétusté du parc roulant, du transport de marchandises et du transport des personnes. La banlieue de Dakar (villes de Pikine de Guédiawaye et de Rufisque-Bargny) compte plus de 60% de la population et regroupe moins de 15% des industries. Un expert en infrastructure de transport, explique cette situation par une explosion démographique (croissance de 3,5% de la population entre 2021 et 2022,prévision de 11% à l’horizon 2025) ; une mauvaise répartition spatiale des activités économiques et une forte croissance des véhicules particuliers individuels (entre 8 et 9% par an) et un déficit de capacité des infrastructures de transport. Les embouteillages urbains coûtent annuellement 4O milliards de Francs CFA à l’Etat du Sénégal et son coût environnemental est de 63 milliards de francs CFA Ces coûts sont estimés par rapport au carburant perdu en période de congestion, aux subventions du carburant par l’Etat, au temps perdu par les travailleurs sans compter la qualité de l’air nuisible à la santé et à l’environnement.
Le littoral sénégalais connait un boom immobilier à Dakar. Des projets immobiliers de grand standing ont été réalisés sur le domaine maritime alors que juridiquement cette zone est non constructible. Depuis l’arrivée du nouveau gouvernement suite aux élections présidentielles du24 mars 2024, la présidence a arrêté toutes les constructions sur le littoral jusqu’à nouvel ordre.
Quelles mesures pour rendre Dakar résilient ?
Face à cette menace qui pèse sur une partie de l’extrême ouest du continent africain, des initiatives ont vu le jour aussi bien au niveau de l’Etat et de la ville de Dakar qu’au niveau des associations et populations pour apporter des réponses idoines à ce fléau. Le changement climatique est une affaire de tous et cette réalité semble bien être comprise même tardivement.
Un plan climat énergie territorial
Dans son plan climat territorial intégré de Dakar, le Conseil Régional de Dakar a mis en place un programme d’adaptation et de renforcement de la résilience sous forme de mesures:
- La protection du littoral par la restauration de la bande végétalisée de filaos et le renforcement par des espèces locales adaptées et la garantie de l’accès à lamer aux communautés de pêcheurs.
- La sauvegarde des espaces à vocation agricole, forestière et de protection des zones humides et l’interdiction de bâtir des infrastructures sur l'espace.
- Le traitement systématique des eaux usées domestiques et industrielles et la mise en place d'une surveillance policière de tous les exutoires d'eaux usées urbains et industriels.
- La mise en place d’un système de tri sélectif, collecte, dépôt et traitement des déchets ménagers et industriels à travers la mobilisation de l'ensemble des collectivités locales, des comités de quartiers, les organisations de la société civile et tous les acteurs économiques. La sauvegarde et le développement de forêts et espaces verts publics et privés contre des vagues de chaleur
- Le changement de paradigme du transport urbain par le renouvellement du parc automobile obsolète par des véhicules électriques mais aussi la mise en place d’un système de bus sur voies réservées (busway) et l’ouverture de la ville au ferroviaire (tramway).
- Mettre en place des alternatives technologiques pour valoriser les ressources renouvelables comme : l’éolien, le solaire, l’hydrique etc.
- Une réforme du foncier pour lever le principal frein à la résilience. Ceci passe par la création d’une police environnementale composée d'agents spécialement formés et encadrés par des administrateurs publics de haut niveau
L’engagement de la société civile
De nombreuses organisations de la société civile se sont engagées dans la lutte contre le changement climatique au Sénégal. A Dakar, il est difficile de connaitre le nombre d’associations ou d’ONG qui travaillent dans la sensibilisation sur les enjeux du changement climatique. Des organisations environnementales se sont formées pour être la voie de ces communautés vulnérables pour porter leur plaidoirie au niveau local, national et international.
Des programmes d’éducation environnementale ont été mis en place et des journées d’action sur le climat sont organisées. Depuis belle lurette, des voix se sont levées pour décrier les causes de l’avancement de la mer (occupation du littoral, dessouchage de la bande de filaos à des fins d’habitation). L’alternance politique d’Avril 2024 a permis d’actualiser le débat sur le bradage du littoral de Dakar par les nouvelles autorités politiques. La Plateforme pour l’environnement et la réappropriation du littoral a vu le jour pour défendre le littoral.
Ailleurs dans la commune de Bargny, les communautés se battent depuis une décennie pour arrêter l’installation d’une centrale à charbon. Bargny a vu ses terres être cédées à des sociétés étrangères pour en faire un pôle industriel. Après la présence d’une cimenterie depuis plus de 50 ans, la commune est menacée par l’installation d’une production d’aciers, par l’ouverture d’une nouvelle cimenterie.
Conclusion
Les effets du changement climatique en Afrique de l’Ouest sont à un rythme plus rapide que la moyenne mondiale. Ce qui donne des perspectives moins rayonnantes quant à l’avenir de cette sous-région. Les autorités sénégalaises sont conscientes que pour lutter contre les changements climatiques, il faut s’attaquer aux problèmes des villes et les intégrer dans le reste du pays. Les villes africaines telles que Dakar sont plutôt victimes des facteurs anthropiques qu’il faut obligatoirement attaquer. Des mesures strictes doivent être prises et des politiques idoines appliquées. Le changement climatique est une thématique transversale car il impacte tous les secteurs de la vie. Laville de Dakar a inauguré le 27 décembre 2021 Le Train Régional Express dont le but est de désengorger la ville de son parc de 40 000 immatriculations par an ;le TER a une capacité de transporter 115 000 passagers par jour entre Dakar et la nouvelle ville de Diamniadio. C’est dans cette même logique que le Bus Rapid Transit (BRT) peut acheminer300 000 voyageurs par jour dans le but d’encourager la passation du véhicule particulier aux transports en commun. Tous deux contribuent à la réduction de la pollution de l’air et des émissions de Gaz à effet de Serre. Le changement climatique va aussi de pair avec la justice climatique. A cet effet, c’est un appel à une justice en commençant par soi-même à travers un comportement citoyen et responsable. Pour cela il faut une éducation environnementale à tous les niveaux.