1.     Le Sénégal est à l’aube d’une ère nouvelle avec l’exploitation offshore du gaz et du pétrole dans ses côtes. Pensez-vous que c’est une réelle opportunité économique?

 

En effet, depuis l’annonce de découvertes importantes de pétrole et de gaz au large des côtes sénégalaises en 2014 et puis confirmées en 2016 et 2017, le Sénégal a signé deux décisions finales d’investissement qui permettent l’exploitation du pétrole avec le projet Sanghomar et du Gaz avec le projet GTA. Le projet yaakar Teranga attend encore la décision finale d’investissement pour être le troisième grand projet d’exploitation du pétrole et du gaz en offshore au Sénégal. Les quantités de gaz et de pétrole annoncées ne peuvent rivaliser avec les pays producteurs africains comme le Nigeria, l’Angola, la Guinée Equatoriale mais sont assez importantes pour un pays à revenus intermédiaire et fortement dépendante des hydrocarbures jusque-là importés pour faire face aux besoins énergétiques.

 

Effectivement l’exploitation du pétrole et du gaz peut être une opportunité économique pour le Sénégal comme elle peut être une nouvelle calamité. Tout dépend de la gouvernance du secteur des hydrocarbures et de l’efficacité de l’état du Sénégal à faire face à ses engagements et à faire respecter les engagements contractuels de ses partenaires qui gèrent les deux projets á savoir BP Woodside.  

 

 

2.     Quels sont les risques et les impacts environnementaux associés aux opérations d'exploitation de gaz et de pétrole à Saint-Louis, Sénégal, et comment peuvent-ils être réduits ou atténués ?

 

        En analysant l’étude d’impact environnemental et social du projet GTA, nous avons retenu trois types de risques majeurs: les risques liés à l’environnement, c’est-à-dire les impacts négatifs potentiels sur l’environnement et la biodiversité ;les risques socio-économiques qui concernent les communautés ainsi que leurs activités, mais également les conséquences économiques aux différentes  échelles, locale et nationale, d’un déversement d’hydrocarbures ;les risques de sécurité maritime relatifs à l’exploitation des ressources pétrolière et gazière.

Sur le plan socio-économique, avec l’interdiction temporaire de la pêche artisanale dans la zone d’intervention plus de 25 000embarcations de pêche artisanale (chiffre de 2017) sont concernées avec des pertes temporaires de revenus pour jusqu’à environ 80 000 pêcheurs artisanaux, et environ 700 000 personnes engagées dans des activités liées à la pêche artisanale. Il y a donc un impact sur la diminution des prises de pêche, combinée aux opportunités d’emploi limitées, à la perception de griefs et/ou de demandes d’indemnisation non satisfaits (par exemple pour la perte d’équipements de pêche), ainsi qu’en raison du risque accru pour la sécurité des pêcheurs en mer à cause de la présence des navires du projet pendant les phases de construction et des opérations.

Sur le plan environnemental, il est retenu, la diminution de la qualité de l’air ambiant (NOx et SOx seulement) pendant la phase de construction et pendant les phases des opérations; exposition d’oiseaux, de phoques moines méditerranéens (espèce en danger), de tortues de mer à des niveaux élevés d’hydrocarbures dans une zone régionale; quelques impacts létaux et de nombreux impacts sublétaux découlant d’effets directs et indirects à l’exposition à des hydrocarbures suite à l’éruption d’un puits, à une défaillance du FPSO en raison d’une collision avec un navire ou à une collision avec un navire poseur de conduites; contamination aux hydrocarbures d’espèces menacées ou du déversement sur le plancton, les poissons et d’autres ressources halieutiques entraînant de la mortalité des espèces,.…

Ces impacts ont aussi de possibles conséquences secrétaires relevées, notamment risque de conflits entre les pêcheurs et les forces de sécurité publique si certains pêcheurs doivent être escortés hors des zones d’exclusion de sécurité pendant les phases de construction et des opérations ou encore risque d’attaques armées ciblant les installations de production de gaz, avec pour effet d’accroître le niveau du risque terroriste à l’échelle nationale pendant les phases des opérations et de fermeture etc.

 

Il ressort de l’EIES du projet GTA un plan de suivi acceptable surtout les mesures de mitigations et de contrôle opérationnelles, des exigences réglementaires, les environnements biophysique et social et leur sensibilité ainsi que les impacts potentiels pour chacune des phases du projet. Cependant, le suivi des mesures de mitigation et de design opérationnel demeure un défi majeur notamment concernant les rejets d’effluents dans la zone offshore particulièrement et sur les communautés benthiques surtout. Au plan des impacts sociaux potentiels certes les aspects économiques et sociaux sont pris en compte, mais certaines dimensions comme le contenu local notamment les PUE, de même que l’accompagnement de la transition énergétique.

A Saint-Louis, les communautés de percheurs et de la transformation des produits halieutiques ont partagé leurs préoccupations relatives au suivi des impacts de l’exploitation du projet GTA et identifié les priorités locales et élaboré un plan local de suivi des impacts environnementaux et sociaux du projet GTA par elles-mêmes, avec l’appui de Legs-Africa. Pour réduire et atténuer les potentiels impacts il est d’abord très important de la part de l’état du Sénégal etc. des opérateurs privés d’adopter une politique de dialogue et d’écoute active des communautés locales pour adopter ensemble des mesures appropriées sur les impacts identifiés.

 

 

3.     Le Sénégal s’est inscrit dans une dynamique de réduire sa dépendance en combustibles liquides polluants avec le développement et l’installation de nouvelles centrales éoliennes et solaires. L’exploitation du gaz et du pétrole ne va-t-elle compromettre cette transition énergétique?

Le Sénégal malgré l’évolution de la mise en œuvre de sa stratégie mixte énergétique qui consacre plus de 20% d’énergies renouvelables a décidé en effet d’exploiter le gaz et le pétrole et de mettre en œuvre la stratégie Gaz to power consistant à utiliser le gaz qui sera produit dans le cadre du projet Yaakar pour produire son électricité. Cette option met ardue épreuve le plan de Transition énergétique même si le Sénégal considère le gaz comme une énergie propre et revendique la continuation de sa production. L’objectif 100% énergie renouvelable est ainsi compromise pour encore plusieurs années par cette option à laquelle l’argument de la souveraineté énergétique est opposée.  

 

4.     La pêche représente un secteur clé de l’économie du Sénégal. L’exploitation offshore des hydrocarbures ne menace-t-elle pas ce pan de l’économie? Quelles alternatives peut-on espérer pour ces communautés de pêcheurs ? Neva-t-on pas vers une crise du secteur de la pêche ?

En effet, les secteurs de la pêche ont un poids dans l’économie nationale, en dépend plusieurs ménages et nourrit plusieurs familles. La pêche est un important pilier de l’économie et un élément fondamental tant sur le plan social qu'alimentaire. Elle occupe une place importante en raison de sa contribution significative à la sécurité alimentaire des populations, à la création de revenus et d’emplois, ainsi qu’au renforcement de la compétitivité. Concernant la pêche artisanale, les quantités débarquées en 2019sont passées de 398 643 tonnes en 2018 à 451 964 tonnes en 2019, soit une hausse de 13,4%. La valeur commerciale des débarquements de la pêche artisanale s’est bonifiée de 12,9% entre 2018 et 2019 pour s’établir à 182,3 milliards FCFA. Alors que la pêche industrielle représente 19% des mises à terre de la pêche maritime. Sa production s’élevait à 106 118 tonnes en 2019, pour une valeur commerciale de 74,5 milliards de FCFA.

Déjà les pêcheurs déplorent une raréfaction des produits halieutiques due à plusieurs facteurs notamment le changement climatique, les mauvaises techniques de pêche artisanale et les abus de la pêche industrielle. La restriction des zones de pêches à cause des opérations pétrolières en haute mer ne fait qu’exacerber leurs craintes. Cette situation est déjà à l’origine de conflits graves entre les communautés de pêcheurs. Ce qui augure d’une crise profonde à venir.

 

5.     Peut-on éviter le syndrome de la malédiction du pétrole au Sénégal ?

 

C’est possible si et seulement si le Sénégal adopte une gouvernance transparente et responsable des hydrocarbures. A cet effet il faudra utiliser une approche démocratique et inclusive de tous les acteurs économiques et sociaux mais également se donner les moyens d’un contrôle et suivi efficaces des engagements contractuels des partenaires et de la mise en œuvre des opérations en haute mer. Ce qui n’est pas évident. Le Sénégal ne semble pas être actuellement doté de ces moyens techniques et humains suffisamment pour faire face à d’éventuelles situations et dysfonctionnements qui pourraient mettre en cause l’écosystème et avoir des externalités négatives sur les autres secteurs économiques durables.